C’est dur, mon p’tit bonhomme. Comme c’est dur.
Tu hurles dans mes bras depuis une bonne demi-heure, ou peut-être dix ans, ou peut-être vingt secondes: le temps s’étire à l’infini quand tu cries.
Tu vas bien pourtant. Tout va bien. Tu es en bonne santé, tu es heureux, bien entouré, tu attrapes les escargots, manges des fraises et cueilles des coquelicots, tu ne sors plus sans ton canotier, tu es doré à croquer. Petit privilégié.
Mais c’est dur, pourtant, mon p’tit bonhomme. Comme c’est dur.
Comme c’est dur de grandir d’un seul coup, jamais progressivement, non, d’un seul coup. D’enchaîner en quelques jours les étapes qui t’éloignent à jamais du bébé que tu fus si peu. T’habiller, te déshabiller, enlever tes chaussures, les remettre, encore et encore, sans aide – des gestes qui deviendront machinaux, mais qui aujourd’hui sont tant de grandes victoires. Devenir propre d’un coup, et ne jamais oublier, sauf des fois. Comme c’est dur.
Comme c’est dur l’absence, Papa trop loin, PapHibou aussi, et Maman bientôt. Comme c’est dur de vivre ensemble, avec des enfants inconnus, des éducatrices inconnues, même quelques heures par semaine. Comme c’est dur de ne pas voir les copains, les vrais, laissés à la maison jusqu’à la rentrée.
Comme c’est dur tout ça, quand on a deux ans et demi.
Alors tu débordes. Tu cries. Tu mords, tu pinces, tu sautes partout, tu me regardes dans les yeux en retournant la maison. Tu n’arrives plus à t’arrêter, et moi, de toute mon altitude, je mets bien du temps à comprendre.
L’énervement point. Je me demande ce que tu as. Je me dis que TOUT VA BIEN bon sang. Je sens ma courte patience s’évanouir. Je me dis « je ne sais plus quoi faire » et c’est l’alarme: je ne te punirai pas. Je suis convaincue que ça ne sert à rien.
Alors je t’attrape. Je me cale, dans l’ombre, lovée dans un fauteuil confortable, un petit hurlant dans les bras. Et ça dure, peut-être dix minutes, peut-être une heure, toujours mille ans, toujours trop peu. Tu cries, tu pleures, tu es serré contre moi, et je t’écoute. Tu me dis l’évident, puis le souterrain, puis tu te relâches, puis tu reprends. Je te caresse doucement le bras, j’embrasse tes cheveux, et j’attends. Je ne t’en veux plus. Je ne m’en veux plus. L’enfance, c’est ça aussi.
Au bout de dix minutes, une heure, toujours mille ans, toujours trop peu, tu te calmes. Tu demandes une chanson, un livre. On discute un peu. Et tu vas. Mieux, ailleurs. Nous sommes réconfortés tous les deux.
Et je me dis que j’ai bien de la chance d’avoir les dix minutes, l’heure, les mille ans, qui me permettent de te serrer au lieu de te punir.